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Le Figaro Magazine interview de thierry Ehrmann «L’art est un meilleur placement que les actions»

2013/05/31 Commentaires fermés

«L’art est un meilleur placement que les actions»

Thierry Ehrmann, sculpteur.
Thierry Ehrmann, sculpteur. Crédits photo : DR

Thierry Ehrmann est le président d’Artprice. Sculpteur plasticien et chef d’entreprise, il livre sa vision du marché.

Source Le Figaro MagazinePatron atypique du SBF 120, artiste habité, homme d’affaires visionnaire, Thierry Ehrmann détone. Entretien avec un passionné, inventeur du leader de l’information sur le marché de l’art.

Le Figaro Magazine – Comment Artprice est-il devenu un formidable poste d’observation?Thierry Ehrmann – Artprice est la plus vaste banque de données sur le marché de l’art. Au fil des années, nous avons racheté beaucoup de fonds éditoriaux, notamment 270.000 manuscrits et catalogues du XVIIe siècle pour assurer la traçabilité des oeuvres. Nous avons des données sur 108 millions d’oeuvres d’art et nous gérons des données biographiques sur 1,8 million d’artistes, dont 550.000 ont déjà figuré dans des ventes publiques. À un moment donné, plus de 200 historiens travaillaient chez nous pour être certains d’attribuer les tableaux aux bons artistes, notamment ceux des peintres flamands. Nous avons dans nos serveurs 27 millions de résultats de vente et c’est grâce à cette mémoire qu’Artprice est devenu ce qu’il est. Nous gérons aussi 630.000 portefeuilles virtuels de particuliers, qui veulent suivre la cote de leurs collections.Comment établissez-vous la cote d’un tableau?

Dans le passé, quand on voulait faire estimer, par exemple, un tableau de Chagall en 80x80cm, on se référait aux ventes des tableaux de l’artiste dont le format était comparable. Artprice travaille autrement, selon la méthode de la vente répétée. Nous suivons la même oeuvre, l’évolution de son prix dans le temps. Comme, par exemple, un Basquiat, vendu à New York, puis huit ans plus tard à Londres, et trois ans après à Paris. Nos indices sont construits comme ça. Notre société est conçue avec des scientifiques, le reste c’est du doigt mouillé.

La santé du marché de l’art ne vous paraît-elle pas insolente?

Le marché de l’art évolue parallèlement à la Bourse, notre indice est corrélé au S&P500. Il est devenu un enjeu de pouvoir: la Chine est numéro un depuis 2010, les États-Unis numéro deux, et la France qui, en 1962, représentait 54% du marché de l’art, ne pèse plus que 4%. Le marché de l’art français devrait s’interroger quand en une simple journée à New York se réalise une année du chiffre d’affaires de la maison France. Le marché a du ressort, il avait mis dix ans à se remettre de la crise des années 90, il ne lui en a fallu que deux après celle de 2008. Le temps joue en faveur de l’art comme du luxe. Quand vous achetez un bien, il se dévalorise au fil du temps, les assureurs lui appliquent un coefficient de vétusté. Il faudrait a contrario appliquer un coefficient de bonification aux oeuvres d’art.

L’envolée des prix peut pourtant créer des bulles.

Je n’en vois pas. Le marché progresse parce que nous assistons à une révolution sociologique. Après la Seconde Guerre mondiale, il y avait 500.000 grands collectionneurs dans le monde, aujourd’hui il y a 450 millions d’art consumers. Les collectionneurs commencent plus jeunes, vers la trentaine. La moitié des oeuvres qui s’échangent valent moins de 1500 euros. On a toujours la vision d’un marché entre millionnaires, mais cela ne correspond plus à la réalité. Avant, on achetait d’abord sa maison, puis vers la cinquantaine on appuyait son statut en entamant une collection. Aujourd’hui, je vois dans notre groupe de jeunes cadres, qui ne sont pas encore propriétaires, investir 15.000 euros dans l’art alors qu’ils meublent leur appartement chez Ikea.

Quid des effets de mode autour de l’art contemporain?

Ils ne sont pas dangereux. Le marché est fluide, résistant. Les collectionneurs et les musées vendent avec moins d’états d’âme qu’avant. Les artistes eux aussi ont évolué – le mythe de l’artiste maudit est révolu. Ils savent réguler leur production et leurs formats pour ne pas inonder le marché. Damien Hirst le fait très bien. Dans l’art contemporain, il y a des market makers comme dans la finance, ils «avalent» une oeuvre si nécessaire pour tenir le marché. Même si beaucoup d’artistes contemporains dépassent les modernes en termes de prix, je crois qu’il y a moins de risques à acheter une oeuvre d’art que des actions si on s’informe correctement.

Où commence le marché de l’art?

Pour les œuvres de moins de 15.000 euros, on ne peut pas parler de marché d’un point de vue économique; c’est plus l’émotion que le raisonnement qui guide les acheteurs. Au-delà de 15.000 euros, si on est bien conseillé, il est difficile d’être «rincé» en quelques années, alors que c’est ce qui est arrivé à beaucoup en Bourse. Depuis deux ans, certains particuliers ont d’ailleurs cédé des titres pour investir sur le marché de l’art. Cela explique aussi la bonne tenue des prix.

L’art est-il un bon placement?

J’en suis convaincu. Quand elles prêtent de l’argent à leurs clients, les banques préfèrent d’ailleurs prendre en garantie des tableaux qu’un portefeuille boursier. Selon nos calculs, une oeuvre de 15.000 à 50.000 euros se valorise de 5 à 7% par an à terme, entre 50.000 et 100.000 euros de 8 à 10% par an. Et au-delà de 100.000 euros, pour des œuvres à la traçabilité parfaite avec de bons certificats, de 14% par an. Ce sont des progressions moyennes annualisées des prix sur une période d’une dizaine d’années qui correspondent à des achats avisés de personnes bien informées. Et les acheteurs ont, grâce aux nouvelles technologies, la possibilité d’arriver dans les galeries en connaissant l’historique de la cote d’un artiste, son taux d’invendus… le meilleur moyen de bien acheter.


Ce qu’ils pensent de lui

– «Déjanté, provocateur, ce sculpteur et plasticien est aussi et avant tout un homme d’affaires avisé. Dans la Demeure du Chaos, une sorte de musée d’art moderne dédié à l’apocalypse, situé à Saint-Romain-au-Mont-d’Or, une tranquille banlieue de Lyon, Thierry Ehrmann cultive son image de cypberpunk trash.» L’Expansion, Franck Dedieu et Béatrice Mathieu, juin 2012.

– «Thierry Ehrmann reçoit dans son bureau circulaire bardé d’écrans et pas loin de ressembler à un poste de commande d’une centrale nucléaire après l’apocalypse. Un crâne sous cloche y côtoie les images d’al-Jezira, des piles de catalogues d’oeuvres d’art, parfois très anciens, des graphiques sur l’évolution de la cote des coqueluches chinoises de l’art contemporain.» Libération, Christophe Alix, juillet 2012.

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Aurélien Bellanger La Théorie de l’information chez Gallimard ITW thierry Ehrmann

2012/09/07 Commentaires fermés

Aurélien Bellanger « La Théorie de l’Information  » chez Gallimard ITW thierry Ehrmann par Cyril de Graeve de CHRONIC’ART

La théorie du Chaos

La fiction rejoint-elle encore la réalité ? C’est ce nous avons demandé à l’intriguant Thierry Ehrmann, l’un des protagonistes nominativement cité dans La Théorie de l’information d’Aurélien Bellanger, qui, de fait, pour avoir vécu au cœur de ses années réticulaires françaises, maîtrise parfaitement le sujet.
Propos recueillis par Cyril De Graeve / Photo : Marc del Piano (pour la Demeure du Chaos)


Thierry Ehrmann, fondateur et président du Groupe Serveur ainsi que du juteux Artprice, depuis les années Minitel, est parmi d’autres personnalités éminentes et tout à fait stratégiques au centre du roman d’Aurélien Bellanger, dans lequel il apparaît comme une espèce d’antithèse à la fois obscure et idéale de Pascal Ertanger/Xavier Niel – certains affirment même qu’il serait bien plus au cœur du livre qu’il n’est paraît… Aujourd’hui, Ehrmann est le propriétaire de la très atypique « Demeure du Chaos », étonnante bâtisse totalement restructurée par ses soins en musée d’art contemporain dans la banlieue lyonnaise (un domaine qui s’étend sur 12 000 m2 à Saint-Romain-au-Mont-d’Or), que tout à chacun peut visiter gratuitement.

Chronic’art : Quel est ton avis général sur le livre d’Aurélien Bellanger ?

Thierry Ehrmann : Pour parler du livre, on est obligé d’analyser avant tout l’auteur, Aurélien Bellanger. Philosophe de formation puis libraire, il pourrait se situer parmi les nouveaux réalistes. Son premier roman, Houellebecq, écrivain romantique, se situe dans la lignée d’un Baudelaire ou d’un Novalis, en pleine période de romantisme allemand du XVIIIe siècle. Quant au livre, sa structuration est composée de trois chemins de fer : la théorie de Shannon, la société du numérique et une tradition balsazienne pour décrire son personnage principal, une sorte de Rastignac qui devient maître du monde par la force du destin. Pour lire depuis longtemps Houellebecq, il y a dans Bellanger une profonde influence de l’auteur des Particules élémentaires qu’il scotomise. Il survole son sujet qui est certes très riche en événements mais passe parfois à côté de mouvements philosophiques, sociologiques et politiques. La révolution du numérique de 1981 à aujourd’hui, vu sous le prisme d’une dizaine d’acteurs clés, ne se résume certainement pas au Minitel rose et à la fortune facile ! Cette période a démembré littéralement la sphère informationnelle que détenaient le pouvoir et les grandes familles, en tant qu’Etat-nation. Une démarche singulière l’aurait mené entre autres sur Time Magazine, dans une interview intitulée « The Art of Information », où je suis longuement interrogé sur cette révolution du savoir que l’on rapproche de la Renaissance européenne, pour arriver à la révolution du numérique. Dans cette même interview, j’aborde la notion de « Noosphère » de Vernadsky et Teilhard de Chardin désignant la « sphère de la pensée humaine », pour décrire notre période. Dans le même esprit, Time Magazine a longuement enquêté sur Net Nobility, que j’ai créé au début des années 90 et qui regroupe près de 900 membres dans le monde. Ceux-ci ont comme caractéristique commune d’avoir brillamment réussi dans l’Internet et d’être restés fidèles à la philosophie de Hakim Bey (l’auteur de TAZ, ndlr). Dans le livre, il est dommage que l’auteur n’ait pas pu développer l’anthropologie de la révolution numérique qui a commencé dès 1983…

La fameuse théorie de l’information de Shannon sert de toile de fond au roman. A ce sujet, et à propos de toutes les chapitres intercalaires que Bellanger mêlent largement à sa narration, comment juges-tu son travail ?
Bellanger s’empare de Shannon, dont le génie a été d’appliquer le code binaire à des sciences dures. Durant la Deuxième Guerre mondiale, Shannon a travaillé pour les services secrets américains en tant que spécialiste en cryptographie. C’était un mathématicien dont une partie des travaux ont été déclassifiés dans les années 80. Contrairement aux idées reçues, il est rentré en conflit avec les sciences de l’information et de la communication et s’en est tenu à son opus Mathematical Theory of Communications publié en 1948. En marge de Shannon, McLuhan mais aussi Mattelart se sont emparés de la théorie de Shannon avec un discours utopique sur la communication. Shannon a refusé d’apporter sa contribution aux sciences humaines, sociales, du langage, des sciences cognitives et de la philosophie. Il fait d’ailleurs partie du Corpus des 1200 portraits peints au sein de la Demeure du Chaos.

En ce qui concerne les passages où tu interviens directement (et nominativement) dans le livre, cela correspond-il à la réalité ? Est-ce qu’on peut dire que Bellanger est plutôt bien renseigné ?
L’auteur opère quelques confusions et procède par stéréotypes. Pour être clair, nous sommes à 30% de fiction avec une structuration qui est propre à l’auteur mais qui n’est pas loin d’une certaine réalité. La force de son écriture réside justement, peut-être, dans cette confusion sciemment organisée…

La description que l’auteur fait de toi (« ancien punk luciférien », « business man cyberpunk », « théoricien du chaos », « post-humaniste / transhumaniste », « chevalier de l’apocalypse ») te satisfait-elle ?
Je suis toujours resté dans la mouvance punk, en tant que mouvement culturel contestataire. Le mot « luciférien » employé par l’auteur n’a rien à faire avec ma vie et le mouvement punk. Concernant la notion de théoricien du chaos, je ne peux que me reconnaître en tant qu’auteur et plasticien de la Demeure du Chaos. De même, j’ai écrit plusieurs essais et romans sur le chaos originel, alchimique et scientifique. Concernant le transhumanisme, j’assume parfaitement d’adhérer à ce mouvement culturel et intellectuel. Différentes performances de la Borderline Biennale 2011, au cœur de la Demeure du Chaos, avec des performers venant des cinq continents, étaient d’ailleurs organisé sous ce thème-là.

Quels ont réellement été tes rapports directs avec Xavier Niel (Pascal Ertanger, dans le roman), depuis les années Minitel ?
J’ai repéré Xavier au début des années 80 et très rapidement son personnage, qui était très intériorisé, cachait un désir de reconnaissance extrêmement fort. Il faut lui reconnaître une puissance de travail hors norme, une capacité à se régénérer des épreuves de la vie. La construction de Xavier s’est souvent opérée sur les attaques dont il a été victime à de nombreuses reprises. En cela, il faut bien l’admettre, Aurélien Bellanger montre une sensibilité de Xavier qui n’est pas loin de la vérité…

Quel regard personnel portes-tu sur cette « Histoire de France de la vie connectée » ?
Dans un portrait du Monde publié en 2001 intitulé « L’iconoclaste de la Net écomomie », j’avais déclaré qu’Internet est le fils naturel de Proudhon et Bakounine. Il faut préciser que Groupe Serveur, que j’ai fondé, a été le premier provider en 1985. Artprice, qui est cotée au SRD L.O. est le leader mondial de l’information sur le marché de l’art avec près de 1,7 million d’abonnés, est née sur le Minitel. Durant cette période qui a démarré vers 1981, nous étions une dizaine à dématérialiser toutes les sciences humaines en inventant une nouvelle économie. Très rapidement, je suis revenu à mon vieux maître Pythagore qui disait que tout est nombre à l’exception des émotions humaines non quantifiables, indicibles et se jouant des nombres. Sur un plan politique, certains hauts membres de l’administration avaient compris que notre puissance de feu en matière d’information était dix fois plus puissante que la grande presse, en nombre d’individus touchés avec des coups divisés par cent. C’est à partir de ce moment-là qu’une guerre fratricide nous a opposé au pouvoir…

Selon toi, quel est le problème, ou la spécificité, de « La France et la modernité » ?
Une phrase résume tout, que j’explique souvent dans les amphithéâtres d’étudiants auprès desquels j’interviens : la France est victime du colbertisme high-tech. Le meilleur exemple est que la toute puissante DGT, ancêtre de France Télécom, avait centralisé l’Internet français à partir de Paris, ce qui relève d’une bêtise absolue, le protocole Internet étant par nature décentralisé comme son ancêtre Arpanet.

L’angle choisi par Bellanger est assez noir, pour ne pas dire franchement eschatologique à la fin. Qu’en dis-tu ?
Grand lecteur d’anticipation et de SF, je ne peux que cautionner cette sortie de piste qui, malgré quelques erreurs de jeunesse, donne une vraie légitimité au roman.

Quel est précisément aujourd’hui ton rôle, et celui de la Demeure du chaos, dans le développement des réseaux en France et à l’International ?
Cet été, Libération a publié une longue interview dans laquelle j’expliquais le rôle politique de la Demeure du Chaos où il fallait accomplir ce Grand Œuvre au sens alchimique, quel qu’en soit le prix, le hurlement des bourgeois, la vindicte des hommes en noir, l’anathème des moralistes. Chaque année, près de 120 000 personnes viennent gratuitement  et librement à la Demeure du Chaos, rebaptisée « Abode of Chaos » dixit le New York Times, pour lire ses entrailles face à un monde qui se déconstruit et où l’histoire se venge de Fukuyama depuis le 09/11. Nous sommes par ailleurs en train de bâtir l’Internet profond (hidden Internet) qui nous permettra bientôt de retourner dans une logique de disparition avec une théorie Deleuzienne. L’IPv6 (l’aboutissement des travaux menés au sein de l’IETF au cours des années 1990 pour succéder à IPv4 – adresses de 128 bits au lieu de 32 bits, ndlr) qui est censé être le fliquage universel de l’informatique, la robotique et la bureautique, est détourné pour créer l’« Inframince » que n’aurait pas renié Duchamp.

Que penses-tu de ce fameux texte de « Xavier Mycenne » sur la singularité française, un texte fictif rédigé auparavant par Bellanger et ajouté finalement dans son roman ? Il semble résumer tout le livre et la pensée de l’auteur au sujet de la France et la technologie…
Les 30 Glorieuses peuvent être interprétées avec les grands corps de l’Etat propres à la France, comme une approche de la singularité technique. Curieusement, nous avons précédé en utopie la Silicon Valley dans les années 60, mais les grands corps étatiques ont pris peur devant la révolution numérique qui effondrait toute forme de hiérarchie sociale que constitue la singularité française.  La suite à lire impérativement  sur:

La Demeure du Chaos dans les grands chantiers de Libération du 27 juillet 2012

2012/08/11 Commentaires fermés

La Demeure du Chaos dans les grands chantiers de Libération du 27 juillet 2012

«C’est mon refus tripal de la folie et du suicide»

Itw thierry Ehrmann, Libération 27 juillet 2012

© Photos: Sébastien ERÔME / Agence SIGNATURES pour Libération

Interview [Grand œuvre] . Fondateur, en 1999, de la Demeure du chaos et du système de cotation en ligne Artprice, le plasticien Thierry Ehrmann explique sa démarche d’entrepreneur et d’artiste.
Recueilli par Par CHRISTOPHE ALIX (à Saint-Romain-au-Mont-d’Or)

A l’issue d’une longue visite menée sous la pluie et tambour battant, Thierry Ehrmann reçoit dans son bureau circulaire bardé d’écrans et pas loin de ressembler à un poste de commande d’une centrale nucléaire d’après l’apocalypse. Un crâne sous cloche y côtoie les images d’Al-Jezira, des piles de catalogues d’œuvres d’art, parfois très anciens, des graphiques sur l’évolution de la cote des coqueluches chinoises de l’art contemporain. Entretien foisonnant et forcément chaotique.

Votre sujet du jour, le chaos, peut-il être un chantier ?

On assimile toujours le chaos à un désordre mais c’est quelque chose de différent en réalité. Si l’on remonte aux Grecs, chaos est un bloc de matière primordiale d’où naît l’univers. Dans l’Ancien Testament, le chaos définit l’univers avant l’intervention de Dieu. Autrement dit, l’ordre naît nécessairement du chaos et vice-versa d’ailleurs. La théorie du chaos en sciences dures va plus loin encore et dit que derrière chaque événement prétendument chaotique, il existe des modèles infiniment intelligents capables d’expliquer l’inexplicable. Le chaos est mon chantier de la matière, ma manière de me coltiner avec le réel et il ne connaît évidemment aucune limite ni fin.

Un chantier ou une déconstruction ?

La Demeure du chaos peut être vue comme une déconstruction de notre époque en résonance avec le mouvement perpétuel du monde. Mais déconstruire, c’est très différent de détruire ou démolir, même si je ne me suis pas privé de rendre bien visible le «permis de démolir» qu’avait placardé la mairie sur mon portail. C’était une manière de les associer à mon œuvre (rires). Plus sérieusement, j’ai représenté le père de la déconstruction, Jacques Derrida, sur un des murs de la demeure. Mon travail alchimique se situe dans ce questionnement-là, entre le rationnel et l’irrationnel, le sens et le non-sens, le sacré et le profane, comme un va-et-vient entre les fondements les plus archaïques de notre civilisation et l’irruption la plus abrupte de l’actualité la plus irréelle.

A essayer de vous suivre, ce chaos est partout…

C’est un terme de plus en plus fréquemment employé. Je l’ai mis en alerte sur Google depuis que cette fonction existe et, au départ, le mot générait un peu plus de 100 alertes par mois. Aujourd’hui, j’en reçois près de 1 000. Tout est devenu chaotique : le climat, l’économie, la vie. Plus le monde est chaotique, plus il recèle de possibles, plus il se libère de toute linéarité, c’est la grande leçon du 11 septembre 2001.

Les attentats du 11 Septembre et Ben Laden sont omniprésents. Qu’est-ce que cet événement a changé ?

Il y a forcément un avant et un après, la force de cette image des tours implosant sur elles-mêmes a balayé tous les cadres établis, jusqu’à ceux de la littérature d’anticipation totalement dépassée par la réalité du XXIe siècle. Qu’on se rappelle Francis Fukuyama qui proclamait, au lendemain de la guerre froide, la fin de l’histoire et l’avènement d’un modèle de démocratie libérale universellement partagé. Les faits l’ont cruellement démenti. Avec le 11 Septembre, le chaos se venge de cette illusion, l’accident et l’inattendu guident toujours le monde, comme depuis la nuit des temps.

Vous êtes un nihiliste…

Rien ne me touche autant que les cathédrales. Mon œuvre se veut au contraire une tentative de narration du chaos et c’est le rôle de l’artiste que de questionner le monde d’une manière plus créative que les médias, de sortir des pâles et serviles tentatives de lecture de la réalité, comme on les voit dans les JT de 20 heures. Les dizaines de milliers de personnes qui visitent chaque année la Demeure du chaos me le disent, ils y trouvent matière à réagir et s’émouvoir là où la vision télévisée de la pendaison de Saddam Hussein n’évoque plus rien en eux.

… un mégalomane, qui ne rate pas une occasion de pointer les 3 609 œuvres de la Demeure du chaos et le fait que le «New York Times» en ait parlé comme «une des aventures artistiques les plus fortes du XXIe siècle» ? Vous vous êtes même représenté en 2052…

Tout artiste est le peintre des vanités, y compris les siennes, l’histoire de l’art en regorge d’exemples. Dois-je dire que je n’ai aucune vie sociale et que je vis comme un ermite, même si j’ouvre mes portes et fenêtres aux gens qui viennent à moi. Il m’arrive comme tout le monde de penser à ma postérité mais ce chantier, je peux vous l’assurer, est avant tout fait d’abnégation, de souffrances physiques, mes multiples brûlures à l’acide en témoignent. La Demeure du chaos a brisé une partie de ma famille et m’a mené devant les magistrats les plus conservateurs et étriqués de ce pays, mais c’est mon refus tripal de la mort, de la folie, du suicide. Comme je me le dis quand c’est dur, «Thierry, tu fermes ta gueule et tu bosses, tu fais ton chantier, un jour peut-être tu en comprendras le sens ou bien les autres le trouveront pour toi.»

Quel est le lien entre la Demeure du chaos, cet empilement d’œuvres à ciel ouvert, et Artprice – les centaines de serveurs au sous-sol donnant accès, via le réseau, à une base de données d’un million d’artistes ?

Il est total, indissoluble, l’un appelle l’autre, excite l’autre. Artprice m’injecte l’histoire de l’art dans les veines et moi j’injecte dans la Demeure du chaos ma vision de plasticien. Il n’existe aucune dissociation entre le supposé réel par opposition au virtuel, ces deux chantiers ont fait ce que je suis et la Bourse n’a jamais sanctionné ma dualité, au contraire ! Ce sont les deux faces de ma passion pour l’art, comme entrepreneur et comme artiste. Vous voulez des exemples ?

Un seul alors…

Nous avons revu récemment la biographie de l’artiste américain Richard Serra de 18 000 signes qui m’a amené à étudier de près tous les procédés techniques de ses géniales sculptures en métal. Ça m’a donné l’idée du gigantesque clou de maréchal-ferrant de 17 mètres que je vais créer, dont six seront enterrés sous terre. Sans Artprice, jamais ce clou et cet hommage à Serra n’auraient vu le jour.

Que répondez-vous quand vos visiteurs interloqués vous demandent «mais pourquoi tout ça» ?

Comme je l’ai écrit un jour, il fallait accomplir ce Grand Œuvre, quel qu’en soit le prix, le hurlement des gueux, la vindicte des hommes en noir, l’anathème des moralistes. Depuis la naissance du droit, il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu est en état de démence ou contraint par une force majeure. Ma démence à moi, c’est l’acte artistique, la folie créatrice. Rien à ajouter.
Culture
Chaos cahin-caha
27 juillet 2012


Tout l’été, déambulation au cœur des constructions, réelles ou imaginaires. Aujourd’hui, un musée d’art contemporain foisonnant, près de Lyon.

Brigitte, la chauffeuse de taxi, avait prévenu. «Vous n’êtes jamais venu? Vous allez voir, c’est très spécial comme univers, ça détonne au milieu des proprets pavillons aux pierres dorées, on est totalement ailleurs, une sorte de musée des horreurs du monde.» Quinze minutes après avoir quitté la gare de Lyon Part Dieu et ses ensembles bétonnés, la Demeure du chaos apparaît au détour d’une rue de la très bourgeoise bourgade de Saint-Romain-au-Mont-d’Or, le long des rives de la Saône au nord de la capitale des Gaules. Partout sur les murs, des dizaines de peintures, des graffitis appelant le plus souvent à la révolte et à l’insoumission, un gros squat à première vue. Même Libération a droit à son inscription murale. «Israël, Etat pirate», est-il écrit, copiant la une du 1er juin 2010 sur l’assaut meurtrier de Tsahal contre des navires de militants humanitaires venus rompre le blocus de Gaza.

Ogre de la société

C’est la première vision de cet ancien relais de poste de 9 000 mètres carrés qui abrite à la fois la maison du plasticien Thierry Ehrmann, le siège de sa société cotée en Bourse Artprice et un musée work in progress de 4 500 œuvres d’art : des murs comme scarifiés, tatoués de centaines de beaux – et parfois sanguinolents – portraits «délégendés», de messages et de symboles ésotériques qui racontent l’incroyable foisonnement du monde passé et actuel. Un chantier artistique totalement hors normes qui, par sa démesure et son ambition totalisante, peut faire penser à un palais idéal du facteur Cheval post- 11 Septembre. Entrepris en 1879 et édifié un peu plus au sud, dans la Drôme, ce monument d’obstination et d’art brut monopolisa trente-trois ans durant les nuits de son créateur.

Débuté en 1999, le chantier de la Demeure du chaos est encore jeune mais son projet n’est pas moindre. Tel un buvard, il s’agit d’absorber et de reproduire toutes les figures qui font l’actualité, tous les événements et les concepts qui nourrissent jour après jour l’insatiable ogre de la société de l’information. Quitte à détruire des œuvres anciennes pour faire de la place ou en les fondant dans de nouvelles. «Un travail de Sisyphe, explique l’artiste qui en a réalisé la plupart, précise-t-il, j’y passe mes jours et mes nuits.»

Passé le portail, cet étrange amalgame de maison et d’œuvres acquiert une dimension plus spectaculaire encore, avec des objets et des sculptures monumentales en pagaille : du complexe militaro-industriel au monde big-brotherisé de réseaux tentaculaires, en passant par les différents avatars de la civilisation industrielle, ils concentrent une bonne partie de ce qui a pu se produire depuis cinquante ans dans les usines de l’Occident. Une nacelle culminant à 25 mètres permet de les embrasser d’un seul regard. Saisissant autant qu’effrayant. Il y a là tout un attirail campant un paysage de guerre (sous-marin, char, véhicule amphibie et hélicoptère) une carlingue d’avion signée Dassault et des carcasses de jaguars retournées. Un peu plus loin, une énigmatique «météorite» de plusieurs tonnes est posée au milieu d’un cratère tandis qu’un amas de structures métalliques pointées vers le ciel imite à la perfection les décombres des deux tours du World Trade Center, etc. C’est un chaos certes, mais le plus souvent méticuleux, appliqué, pensé.

De l’autre côté d’un mur, on pénètre dans la zone des containers et des deux bunkers, gigantesques cubes arrondis de tôle assemblés et soudés sur place par le maître des lieux dont les façades extérieures reproduisent des schémas ultracomplexes comme celui de l’architecture, sous contrôle américain, du réseau Internet. C’est là qu’ont eu lieu les expériences de body art de la Bordeline Biennale, organisée juste avant la grande manifestation lyonnaise d’art contemporain, en 2011. Dernière grande figure imposée de cette alchimie du chaos version Ehrmann, les têtes de mort coulées en aluminium voisinent avec des sculptures ésotérico-religieuses. La face moyenâgeuse, mystique et sacrée de la Demeure du chaos.

Ouverte gratuitement au public les week-ends, cette «factory» plantée au milieu d’un paysage aussi doux que la Demeure du chaos est «énervée» reçoit plus de 100 000 visiteurs par an. Mais les œuvres de ce musée à ciel ouvert débordent également à l’intérieur de la maison, jusque dans les toilettes et la cuisine des employés de Artprice, la première base de données mondiale sur le marché de l’art. La Demeure du chaos est un tout, elle est partout et «déconstruit» également l’habitat privé de Thierry Ehrmann et de ses deux immenses chiens Danois – Saatchi et Reuters – et celui, professionnel, de ses employés.

Bataille en justice

Boulimique et protéiforme à l’image de son créateur, qui confesse une psychose maniaco-dépressive génétique et héréditaire synonyme selon lui «d’accélération du rythme des représentations intellectuelles», ce chantier n’est cependant pas du goût de tous à Saint-Romain-au- Mont-d’Or. Depuis 1999, la municipalité, qui a déjà épuisé plusieurs maires dans cette affaire, via des batailles judiciaires pour obliger la Demeure à se conformer au code d’urbanisme local et à remettre en état les lieux, en respectant notamment la couleur «dorée» des murs extérieurs de la propriété au diapason du reste du village.

Un combat porté jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme par le plasticien homme d’affaires, que Thierry Ehrmann a perdu malgré ses multiples tentatives pour obtenir un statut dérogatoire en raison de l’objet artistique de sa demeure. La pétition «Honte à vous», que sont invités à signer les visiteurs, a recueilli plus de 130 000 signatures contre «les réacs et les négationnistes de l’art». Mais elle ne met pas pour autant à l’abri le site désormais menacé de destruction et dont le chantier pourrait bien prendre une tournure beaucoup plus politique. Pas de quoi impressionner son créateur, moins virulent que lorsqu’il promettait «l’enfer et les rivières pourpres, en respectant les règles républicaines» à ses ennemis, mais déterminé à triompher, dit-il, «de la connerie humaine». Un chantier en regard duquel la Demeure du chaos ressemblerait presque à un montage de table de nuit Ikea…

la suite de l’interview et de la visite dans les grands chantiers de Libération du 27 juillet 2012

Vision démente de la Demeure du Chaos par Marc del Piano

Implacable approche Deleuzienne appliquée par les Guerriers du Chaos par thierry Ehrmann

2012/04/01 Commentaires fermés

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Implacable approche Deleuzienne appliquée par les Guerriers du Chaos ( mode d’emploi de la Borderline version militant)

 La Cité Interdite…

Implacable approche Deleuzienne appliquée par les Guerriers du Chaos.

Durant les longs combats contre le système en place, les « Guerriers du Chaos » se déplacent dans la Demeure du Chaos devenue la « Citée Interdite » à travers des centaines de mètres de tunnels en surface et en sous-sol, par les salles machines, le Temple Protestant, les containers enterrés ou aériens, les toits, les passerelles tentaculaires d’Overground, le Bunker, les sculptures monumentales, les sources romaines et les éléments de végétations avec des élingues dans les arbres. ils jonglent en permanence entre les IPN et les treillis d’acier.

Les tunnels sont creusés dans une structure globale dense et contiguë empruntant les sources romaines du Domaine et les passages secrets du Temple Protestant. Bien qu’un grand nombre de Guerriers du Chaos évoluent simultanément dans les 9 000 m2 de la Demeure du Chaos, ils sont tellement « fondus » dans l’architecture glocale que très peu sont visibles de l’extérieur.

Cette forme de mouvement, décrite par les Guerriers du Chaos comme une « infestation« , cherche à redéfinir l’intérieur comme l’extérieur, et les intérieurs domestiques comme voies de communication. Nous jonglons à travers nos labyrinthes analogiques et tunnels numériques en laissant les cicatrices de lambeaux de peaux accrochés sur tous les murs de la Demeure. La stratégie des Guerriers du Chaos de « marcher à travers les murs » implique une conception de la « Cité interdite » comme non seulement le site, mais également comme le cœur même de la guerre, un milieu flexible, presque liquide et organique qui est toujours aléatoire et en prise à des changements permanents. Un véritable monde d’ombre face à l’ordre établi.

La Demeure du Chaos n’est jamais morte. C’est un bloc de matière primordiale et brute ; le culte d’un monstre unique, inerte et spontané, plus ultraviolet que toutes les autres mythologies telles les ombres devant Babylone entre le Tigre et l’Euphrate. Il ne faut jamais oublier que le Chaos précède tous les principes d’ordre et d’entropie, il n’est ni le bien ni le mal, car le monde n’est pas binaire, mec, c’ est l’incertitude du pouvoir. Il n’est ni un début, ni même une fin. C’est un trou noir, ce qui, par essence, fait des Guerriers du Chaos, des terroristes de la pensée… Le Chaos est un vide quantique dont les pirates que nous sommes sont les particules virtuelles, c’est la Materia Prima, le champ de tous les possibles.

Le Chaos naît dans les interstices d’un monde sous contrôle… C’est l’ordre que nous combattons qui crée le Chaos. Les théoriciens militaires contemporains sont occupés maintenant à re-conceptualiser les maps mouvants des mégapoles. En jeu, ce sont les concepts, les suppositions et les principes fondamentaux qui déterminent les stratégies et les tactiques militaires. Il y a des points communs considérables entre les textes théoriques considérés comme essentiels par les académies militaires et les écoles architecturales, l’Infra-mince de Duchamp est aussi cette interface entre ces deux mondes antagonistes.

En effet, les listes de lectures des institutions militaires contemporaines incluent des travaux depuis à peu près les années 1968, notamment sur les écrits de Gilles Deleuze, de Félix Guattari et de Guy Debord, ainsi que des écrits plus contemporains sur la théorie post-coloniale et post-structuraliste de l’urbanisme, de la psychologie, de la cybernétique. Les Guerriers du Chaos ont intégré ces données comme essentielles pour la résistance et la mise en place de TAZ comme la Borderline Biennial.

Les Guerriers du Chaos disent « l’espace que vous regardez, l’œuvre que vous regardez, ce n’est rien d’autre que votre interprétation ». La question est, comment interprétez-vous la Demeure du Chaos ? Un No man’s land, un espace ouvert selon la notation de Thiel ? L’ennemi interprète la Demeure du Chaos comme la « Cité Interdite » pour s’y déplacer et les portes centrales comme quelque chose dont le franchissement est un interdit sacré ou profane, et les murs d’enceinte comme quelque chose par lequel il est interdit de regarder, parce que des armes ou bien pire l’attendent derrière les murs, et des pièges de toutes natures sont derrière les portes centrales et périphériques de la « Cité Interdite ».

La Demeure est une bombe, lenteur de son explosion qui se propage dans tous les interstices de nos ennemis. La Demeure est l’estomac du rêve, la forme et les ombres des ennemis disparaissent, elles se mettent à hurler, à être digérées par le Chaos. Profaner le sanctuaire de la Demeure du Chaos, c’est violer l’ensemble de mesures assurant sa garantie, sa protection, avec une dimension de sauvegarde, de mise à part, d’intangibilité.

C’est parce que nos ennemis interprètent l’espace d’une façon traditionnelle et classique que nous ne voulons pas obéir à cette interprétation et tomber dans ses pièges. Les Guerriers du Chaos veulent les surprendre ! C’est l’essence même de la guerre. Nous devons vaincre l’ordre en place. Nous voici, nous autres Guerriers du Chaos nous glissant entre les fissures des murs du Temple, de l’Etat, du Palais de Justice, de l’Université, de la Bourse, de tous ces monolithes paranoïdes. Coupés de la tribu par la nostalgie brute, nous creusons un tunnel vers les mots perdus, les bombes imaginaires de la « Cité Interdite ».

C’est pourquoi nous avons opté pour la méthodologie de nous déplacer à travers les murs et les sous-sols de la Demeure… Comme un ver qui mange son chemin vers l’avant, émergeant à certains points et puis disparaissant. A mesure que le pouvoir disparaît, notre volonté de pouvoir doit être la disparition…

Les Guerriers du Chaos savent que la Demeure retient la réalité de nos ennemis et leurs formes entre les mâchoires de sa folie pour les consumer dans le soufre incombustible, le mercure philosophal. Sur leurs corps les Guerriers du Chaos portent la devise « Nutrisco ET Extinguo » qu’incarne la Salamandre alchimique symbole de la Demeure du Chaos.

Nous nous sommes délibérément interdit de définir la TAZ qui est explicite. Nous ne voulons pas créer de dogme politique. Nous nous contentons de tourner autour du sujet en lançant des sondes exploratoires s’articulant autour du principe des utopies pirates. La TAZ y est très liée, ne serait-ce que par une filiation d’idées : les concepteurs des TAZ se réclamant de l’esprit de révolte des flibustiers. On trouve d’ailleurs une longue partie sur la TAZ dans le livre sur les pirates de Mikhaïl W. Ramseier, « La Voile noire », qui s’interroge entre autres sur l’éventuelle filiation que certains libertaires affirment reconnaître entre anarchie et piraterie.

Je vous en avais déjà parlé dans les précédentes lettres de la DDC, il faut impérativement lire l’histoire de la piraterie à travers entre autres, le livre de Marcus Rediker : « Villains of all nations ». Les coutumes pirates voulaient qu’à chaque création d’un nouvel équipage le navire nouvellement lancé sous l’étendard noir et blanc le personnalise en lui ajoutant un signe ou une particularité. Le « Jolly Rogers » s’imposait donc à la Demeure du Chaos comme étendard de valeurs communes au clan. Ainsi, 3 autres signes se sont imposés :- Le bandeau sur les yeux : signifiant du terrorisme dont la DDC à été accusée au procès de Grenoble mais aussi de l’état d’esprit du graffiti.- Le « cap » de l’aérosol associé à la goupille : tous 2 symboles d’une « bombe », d’un art controversé et d’une arme.

Nos ennemis nous affublent de noms tels que « Différence et Répétition », « Entités rivales sans forme », « Manœuvre fractale », « Rapidité contre Rythmes », « Machine de guerre », « Anarchistes post-modernes », « Terroristes intellectuels » et « Orgues de Staline », « Cinquième colonne », ils se réfèrent souvent au travail de Deleuze et de Guattari. Les machines de guerre, selon les philosophes, sont polymorphes ; des organismes diffus caractérisés par leur capacité à se métamorphoser, composés de petits groupes qui se fractionnent ou fusionnent entre eux, selon l’éventualité et les circonstances.

Deleuze et Guattari savaient bien que l’Etat pouvait aussi volontairement se transformer en machine de guerre. Plongée dans les eaux profondes, la Borderline Biennial va au-delà des contre-cultures, elle possède cet aspect festif de l’instant non contrôlé qui adhère en auto-organisation spontanée. C’est une épiphanie, une expérience démesurée aussi bien au niveau social qu’individuel. Notre TAZ de 40 jours et 40 nuits implique une certaine sauvagerie, une évolution du domestique au sauvage, un retour qui est un grand pas en avant. Elle implique également une danse du Chaos face à l’appareil de contrôle : l’Etat qui continue à se déliter et se pétrifier devant l’insurrection qui vient.

Nous déplaçons en cas d’attaque majeure notre conflit avec l’ordre établi dans l’Internet profond. On peut considérer que l’Internet profond est un outil important pour nos TAZ : « Si la TAZ est un campement nomade, alors l’Internet profond est le pourvoyeur des chants épiques, des généalogies et des légendes du clan ; il a en mémoire les routes secrètes des caravanes et les chemins d’embuscade qui assurent la fluidité de l’économie clanique ; il contient même certaines des routes à suivre et certains rêves qui seront vécus comme autant de signes et d’augures qui détruiront mentalement l’ennemi ».

Il est nécessaire de comprendre comment nos ennemis interprètent le principe désormais familier “d’essaimage”. La manœuvre de l’essaim en fait a été adaptée par les Guerriers du Chaos du principe d’intelligence artificielle, de l’intelligence de l’essaim, qui suppose que des capacités de résolution des problèmes soient trouvées dans l’interaction et la communication d’agents relativement peu sophistiqués (fourmis, oiseaux, abeilles, soldats) avec peu ou pas de commandement centralisé. L’essaim illustre le principe de non-linéarité apparente en termes spatiaux, organisationnels et temporels. Il est directement issu de la théorie du Chaos décrite par Lorenz et remasterisée par Gleick.

Le paradigme de manœuvre traditionnelle, caractérisé par la géométrie euclidienne, est transformé, selon les militaires par un nouveau paradigme en une géométrie complexe de type fractal. Selon nous, l’ensemble de Mandelbrot est localement connexe. En topologie militaire, la notion de connexité formalise le concept d’être d’un seul tenant, d’où notre avantage stratégique sur l’ennemi.

Cela peut expliquer la fascination de l’armée pour les modèles spatiaux et organisationnels et les modes opératifs avancés par des théoriciens tels que Deleuze et Guattari. Pour les militaires, la guerre urbaine est l’ultime forme post-moderne de conflit. La Foi en un plan de bataille structuré logiquement et à sens unique disparaît devant la complexité et l’ambiguïté de la réalité urbaine. Des artistes deviennent des combattants, et les combattants deviennent des artistes. Pour un ennemi de la Demeure du Chaos, les Guerriers du Chaos semblent « être partout : devant, derrière, sur les côtés, à droite et à gauche, en haut et en bas. Comment peut-on se battre dans cette façon ? ».

Pour aller plus loin nos ennemis nous demandent : pourquoi pas Derrida et la Déconstruction ? Nous répondons : Derrida est peut-être un peu trop conceptuel pour nous autres Guerriers du Chaos. Nous avons plus de choses en commun avec les architectes du désir ; nous combinons théorie et pratique. Nous pouvons lire, mais nous savons aussi comment construire et détruire et parfois, annihiler toute forme d’ennemis… Ces idées avaient été, bien sûr, conçues par Guy Debord et d’autres membres de l’Internationale Situationniste pour défier la hiérarchie construite de la cité capitaliste et pour casser les distinctions entre le public et le privé, entre l’intérieur et l’extérieur, l’usage et la fonction, en remplaçant l’espace privé par une surface publique “sans frontières ni limes”.

La violence mentale peut ainsi être projetée comme tolérable et le public encouragé à la soutenir. Ainsi, le développement et la diffusion de nouvelles technologies militaires encouragent la fiction qui est projetée dans le domaine public qu’une solution militaire est possible dans des situations où, au mieux, c’est très douteux. Le véritable danger est là. La fonction pratique ou tactique, la façon dont la théorie Deleuzienne influence les tactiques et les manœuvres militaires, soulève des questions sur la relation entre la théorie et la pratique. En termes discursifs, la guerre, s’il ne s’agit pas d’une guerre d’annihilation totale, constitue une forme de discours entre des ennemis.

Chaque action militaire est censée communiquer quelque chose à l’ennemi. Parler « d’essaimage » et de « destruction intelligente », par la voix des Guerriers du Chaos, permet de communiquer à ses ennemis qu’ils ont la capacité d’effectuer des destructions bien plus importantes. Des raids ou attentats artistiques peuvent dont être projetés comme des alternatives plus modérées aux capacités dévastatrices possédées actuellement par les Guerriers du Chaos qu’ils déclencheront si l’ennemi dépasse le niveau « acceptable » de violence ou enfreint un accord tacite.

En termes de théorie militaire opérationnelle, il n’est jamais essentiel d’utiliser sa pleine capacité destructive, mais plutôt de maintenir le potentiel d’accroître le niveau d’atrocité mentale. Sinon, les menaces n’ont plus aucun sens.

Pour les Guerriers du Chaos, il n’y a pas de devenir, pas de révolution, pas de lutte, pas de voie ; chacun est déjà le monarque de sa propre peau, sa liberté inviolable n’attend que d’être complétée par l’amour des autres monarques, une politique de rêve, urgente comme le bleu du ciel et la folie de notre siècle.

Quand les Guerriers du Chaos parlent de théorie, cela semble être la question du changement de sa structure organisationnelle et hiérarchique. Et quand les Guerriers du Chaos parlent à l’ennemi, la théorie peut être comprise comme une arme particulièrement intimidante du type « shock and awe » (choc et épouvante), le message étant : « Tu ne comprendras même jamais ce qui annihile pour l’éternité ton ordre établi…

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thierry ehrmann

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